Tango tango
- Stan Dell
- 7 févr. 2022
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mars 2022

Un dimanche soir au club Ciencia y Labor de Buenos Aires. La salle est pleine à craquer à l’occasion de la floreal milonga. Marcelo, le maître des lieux demande d’accueillir chaleureusement Carlos et Rosita Perez, deux légendes vivantes du tango, celui que l’on dansait dans les années trente. Nul besoin de les présenter, tous les connaissent dans la ville et même bien plus loin. À peine a-t-il terminé sa phrase que déjà une cascade d’applaudissements s’abat sur la salle.
Pudiquement le vieux couple se lève. Carlos salue la foule de petits gestes de la main. Rosita, la femme de toute sa vie sourit timidement. Ce moment de dévoilement, ils l’ont vécu plus de mille fois mais pour eux c’est toujours une première. Alors que le bandonéon lance ses premières notes, ils se dirigent main dans la main vers le centre de la piste. Leur allure lente et fluide à la fois est déjà un spectacle à elle seule. Le tango est un art de la marche.
Ensemble ils dansent le tango comme ils traversent leur vie
Carlos propose un premier pas de côté, Rosita le suit avec une grâce naturelle. Plusieurs pas coulés dans la mélodie de la musique les entraînent dans une ronde lascive puis Carlos impose un temps d’arrêt. N’en déplaise aux bonnes consciences, c’est l’homme qui mène la danse. Rosita, le dos légèrement en arrière se redresse avant d’accepter un nouveau pas en arrière ponctué d’une furtive impulsion de sa cheville droite qui vient se loger à l’extérieur de son pied gauche. Rien n’est prévu, rien n’est calculé mais tout s’enchaîne par une grâce naturelle. Ensemble ils dansent le tango comme ils traversent leur vie, reliés tendrement l’un à l’autre pour ne pas avancer seuls et aveugles au monde. Le tango est un art du partage.
Tout autour de la salle, assis sur des chaises en bois ou en tailleur à même le sol, une foule de passionnés les observe. Les yeux écarquillés et les lèvres riantes, ils décomposent chaque position de main, chaque mouvement de pied, chaque ondulation de bassin. L’étude devient ravissement. Le tango illumine leur intimité cérébrale, ravivant les fibres de leur culture, les souvenirs de leurs aïeux et leurs sensations d’un monde authentique tant menacé. Toutes ces âmes transcendées accompagnent Carlos et Rosita dans leur danse. Le tango est un art de la fusion.
Les dernières notes de musique se fondent dans un tonnerre d’applaudissements. Le couple s’ouvre face aux spectateurs. La danse est terminée mais le tango jamais ne s’arrêtera, faisant fi de toutes les différences d’âges, d’origines et de classes. Le tango est le lien entre tous les cœurs de lumière.
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