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Y a quelqu'un ?


Je n’avais encore jamais mis le pied dans une grotte. J’ai toujours pensé que cela ne portait pas chance de se retrouver sous terre avant l’heure. Il me plaisait d’emprunter cette expression quand l’occasion s’y prêtait, au point de ruiner l’humeur de mes chères petites amies. Cette superstition vis-à-vis des grottes provoqua un jour le courroux d’une archéologue de mes connaissances. Elle me fit un coup de calcaire digne d’une stalagmite émotionnelle. Je compris alors que cela ne pouvait plus durer. Il fallait que je soigne cette posture anti-grotte. Alors je décidai d’entamer mon premier voyage vers le centre de la terre. En espérant m’arrêter avant.

Je me rendis à la grotte que l’on me recommanda. Une fois sur site, la première peinture qui m’attira n’avait rien de rupestre. Il s’agissait d’une pancarte de bois verni portant la mention « Début de la visite ». J’entamai ensuite la descente d’un interminable escalier pénétrant les entrailles de l’abîme beau et mystérieux de la croute terrestre. Je ne pouvais m’empêcher de penser à mes plus profonds ancêtres qui peut-être avaient occupé ce lieu. En descendant qui descendait, j’avais l’impression de remonter le temps à reculons.

Quelques dizaines de marches plus tard, je m’arrêtai. Je venais de comprendre la vraie raison de ma présence ici-bas. Je voulais découvrir ce phénomène acoustique que l’on appelle l’écho. Je souris en me disant qu’appeler un écho c’est un peu s’entendre dire avant de parler. Et que s’évertuer à répéter un écho que l’on a appelé est un vice sans fin, comme un escalier à colimaçon que l’on aurait dévissé.

Ne voyant personne autour de moi, je pris une profonde respiration et lâchai un « Hé ! » des plus sonores, à m’en faire trembler les parois de la glotte. Le « Hé » me revint aussitôt bien plus épais qu’un « Hé » lancé. J’avais trouvé mon écho.

Je recommençai avec un « Ho ! ». J’entendis alors un « Ho » semblable. L’euphorie me gagnait. Non seulement j’avais trouvé mon écho mais en plus, je dialoguais avec lui. Et il me comprenait ! Je n’étais pas roi, mais déjà prince oreille.

Extasié par l’expérience, je voulus poursuivre l’exercice. Mais qu’allais-je dire à mon alter-écho oral ? Surtout pas d’où je viens, encore moins comment je m’appelle. De nos jours on parle trop de soi. Sur la toile aussi et c’en est parfois coton. J’eus l’idée d’une question simple, celle que je poserais s’il m’arrivait de pénétrer les entrailles de l’infini ou de questionner le ciel. Ma quête grandeur nature de spirituel se révélait. « Y a quelqu’un ? » lançai-je. « Y a quelqu’un » entendis-je aussitôt. Mais au même moment, disons un temps juste après, un doute tempéra ma joie. J’avais posé une question et je venais de recevoir une réponse. Cela s’entendait dans la différence entre le « un » de « quelqu’un ? » et le « un » de « quelqu’un ». Le « un » qui monte et celui qui ne monte pas, sans pour autant descendre. Sachant que l’un comme l’autre des « un » ne font qu’un et même deux avec l’écho. Bref, c’était comme si l’écho m’avait répondu « Oui, ça va, j’ai compris, rassure-toi, tu n’es pas tout seul ! ».

Je ne trouvai pas cette réponse très élégante. L’italien Umberto aurait dit « Tous les échos ne sont pas des pros échos ». Alors je décidai de sortir de ma bulle pour évacuer tout malentendu. J’insistai : « Je ne suis pas seul alors ! ». Vous n’imaginez pas à quel point la réponse m’isola encore plus. « Puisque je te le dis, tu es bouché ou quoi ? ». Mon retour de grotte devenait grotesque. Cela étant dit, pas encore prononcé et encore moins entendu en retour, je ne pouvais pas en rester là, question de décorum. Comme pis-aller d’un aller-retour, je lançai sans détour : « Vous pourriez au moins me parler sur un autre ton ! ». Et là, plus rien. Je tendis l’oreille. Toujours rien. Soit la réponse attendue nécessitait moult préparations, soit j’avais mouché mon écho. En désespoir de ma cause entendue bien qu’inaudible, je lançai quelques onomatopées de mauvaise fortune et pas de bon cœur. Plus un seul signal à l’horizon. Échographie vide, aurait jugé Samson.   

Intérieurement, je commençais à me poser de sérieuses questions, sans en faire écho à l’extérieur. Et si l’âme des cueilleurs-chasseurs résonnait des tréfonds de la terre dans cet artefact d’écho intérieur ? Il ne manquerait plus que cela. À moins que ce que j’avais entendu n’ait été que le strict retour de ce que j’avais dit. On m’a déjà prêté des paroles que je n’avais jamais données. Et pas par manque de coffre fort, préférant parler à voix basse. Je n’ai jamais voulu l’entendre. Les parole-contre-parole échouent toujours dans des oreilles de sourds. Et dans cette grotte, je faisais grand bruit de ce silence-contre-silence.

C’est alors qu’une prompte apparition stoppa mes spéculations spéléologiques. Un homme remontait du fond de la grotte. Quand il arriva à quelques marches de ma hauteur de vue, je l’apostrophai : « Désolé si ma question sonne creux mais l’écho, c’est vous ? ».

-     En théorie oui, répondit-il.

-     Et en pratique ?

-     Je suis en grève, dit l’homme en colère.

-     C’est pour cela que vous êtes remonté ?

-     Oui, pour dire qu’il y a grève d’en bas contre une décision d’en haut.

-     Donc vous appelez à la grève.

-     Ce n’est pas moi mais la CGT, la Confédération des Grottes du Tertiaire.

-     Je n’étais pas au courant.

-     C’était pourtant dans les pages Éco des Échos.

-     Et pourquoi cette grève ?

-     La Direction ne veut plus payer son écotaxe.

-     C’est donc cela l’économie souterraine ?

-     Appelez cela comme vous l’entendez !

-     À moins que votre Direction souhaite lutter contre la pollution sonore …

-     Et que les gens n’aient plus de mauvais échos de la grotte, précisa-t-il.

-     Que ferez-vous de tous ces échos si vous ne pouvez pas les renvoyer ?

-     Ils finiront dans des caisses de résonance.

-     Des caisses à dire …

-     Remplies de non-dits.

-     Et lorsque les caisses seront pleines ?

-     Elles seront remontées à la surface et transportées à l’usine d’insinuation.

-     Vous voulez dire d’incinération !

-     Non d’insinuation, une fabrique de fake news, comme on dit de nos jours.

-     Mais tous les échos ne sont pas tous faits de mensonges !

-     Les bonnes paroles seront envoyées dans des églises.

-     Je vois que tout est prévu.

-     Mais nous n’allons pas nous défiler, en défilant.

-     Et vous pensez être entendus ?

-     Ne pas faire écho c’est se taire.

L’homme fila pour rejoindre sa lutte finale. Alors je m’inventai une maxime qui depuis résonne en moi et qu’il me plait de dire haut et fort de ma voix nouvellement caverneuse : qui s’écoute parler soigne son écho !

 
 
 

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© 2022 par Stan Dell

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