Mano à Mano
- Stan Dell
- 2 juil. 2022
- 3 min de lecture
L’histoire se passe Salle Pleyel. Le grandissime pianiste Usadema Musiculus s’apprête à entamer l’étude numéro 1 opus 10 en ut majeur de Chopin. Deux mille mélomanes attendent les premières notes. C’est un peu long. Ça et là, on perçoit un léger toussotement venu de nulle part. Toujours rien. Cela ne devrait pas tarder.

‐ Je suis de droite ! S’écrie Manolo. Certains se situent à droite de l’échiquier politique, moi je suis à droite du clavier. Et je suis la main la plus adroite de Musiculus, son premier de cordées. Plus libéral que moi, vous faites fausse note. Rien à voir avec mon alter mano de gauche qui ne fait que m’accompagner. Je suis la créativité mélodique, l’unité harmonique. Mais là-haut, Cerebro ne jure que par la partition. Il pense la musique avant même de la faire jouer, comme dit Musiculus à qui veut l’entendre.
‐ Je suis Manola, la gauche progressiste de nos luttes pianistiques, la reine des accords en arpège. Pas question pour moi de m’envoler dans des folies ultralibérales. Non, moi je donne dans le grave, le rythme, la structure harmonique. Mais Cerebro, n’a que faire de moi, lui qui vit si intensément la musique que nous jouons, comme le clame Musiculus au monde entier.
‐ Pour moi, Manolo, jouer c’est libérer dans les airs des notes emplies de pensées qui éveillent l’imaginaire de mon public. C’est ma théorie du ruissellement. Mais avec Cerebro, je dois suivre les rails implacables de la partition. Qu’il me laisse improviser que diable !
‐ Moi, Manola, j’incarne le progrès. Toujours appliquée, je vise l’excellence. Je rêve d’une salle debout applaudissant à tout rompre mon travail. Mais Musiculus, ne l’entend pas ainsi. Il salue toujours son public, Manolo sur son cœur et moi, cachée derrière son dos. Aucune reconnaissance !
Enfin, les premières notes du premier accord s’échappent du piano. Les deux mains se trouvent aussitôt au centre du clavier où elles doivent partager la même note, un DO rond pour lui, un DO lent pour elle.
‐ Je vois que tu tends la main au centre.
‐ Et toi, tu ratisses à gauche de la droite, répond Manolo.
‐ Tu ne vois donc pas qu’il s’agit d’une manœuvre du pouvoir qui nous monte l’un contre l’autre ? s’enflamme Manola.
‐ Tu as raison, le soi-disant « en même temps » de Musiculus.
‐ Ne tombons pas dans ce piège, unissons-nous !
‐ Mais nous ne portons pas les mêmes revendications.
‐ Peu importe, répond Manola, l’important c’est de faire union pour peser. Et pourquoi ne pas convier les oreilles.
‐ Tu n’y penses pas, depuis qu’elles ont créé le parti de l’échologie, elles sont bouchées.
‐ Et pourquoi pas les yeux ?
‐ Ils ne peuvent pas se voir.
‐ Et les pieds ?
‐ Il n’y a pas plus bêtes qu’eux. À deux pour appuyer sur trois pédales, quelle affaire !
‐ Et la bouche ?
‐ Surtout pas, c’est la voix de son maître.
‐ Peu m’importe. Moi, force de gauche, je demande la fin des cadences infernales. Je réclame la portée de trente-deux notes. Je vais créer un syndicat et nous chanterons tous en chœur :
Sur l’air de l’International
C’est la lutt’musicale
Groupons-nous à deux mains
Justice en récital
Pour la vie un refrain
‐ Tu as la phalange révolutionnaire. Pour moi, puissance libérale de droite, l’avenir de notre membranité passe par l’initiative individuelle. Je demande plus d’improvisation. Je vais fonder un parti, mon slogan, sera « Haut les mains ! »
‐ Dépassons nos clivages gauche-droite. Créons un rassemblement que nous appellerons Mano à Mano !
‐ Hors de question !
Sur le clavier, les deux mains regagnent leur territoire. Cerebro a réussi son pari, la gauche et la droite refusent de s’unir. Il fait fi des graves menaces qui dépassent ces petits affrontements partisans. Le PC s’est allié à la pomme insoumise pour faire main basse sur la musique. Le son n’y est pas très républicain mais les oreilles s’empressent de baisser pavillon. Le grand remplacement est en marche. Il y a pire encore. Le tempo pourrait se dérégler de plus en plus, au point de faire migrer les notes hors de portée, avec à la clé un air inécoutable.
Comme si de rien n’était, Musiculus ravit les deux mille mélomanes de la salle Pleyel.
bien vue Stan Dell ! Belle allégorie du paysage politique Francais sur fond de musique et d’humour pour adoucir tout çà.