Le grand retour

Sans départ, point de retour. Alors je pars car revenir, moi j’aime ça. Mais ce n’est pas sans risque.

Je connais des gens qui ne sont jamais revenus. C’est dire qu’ils étaient bien partis. On me dit souvent « continue, tu es bien parti ! ». Et je n’en reviens jamais. Alors je continue de partir. Jusqu’au moment où je ne pars plus puisque je suis parti. Où est la limite ? me demanderez-vous. Je vous réponds sans détour que tant que l’on peut encore vous retenir c’est que vous n’êtes pas parti. Et je ne me retiens pas d’ajouter que dans le cas contraire, vous l’êtes.

Un jour, je n’arrivais plus à me défaire de quelqu’un. J’ai hurlé « si vous me retenez, je pars ». La menace n’avait aucun sens. Si encore on m’avait dit « vous, je ne vous retiens pas », je ne serais pas pour autant parti. En retour, j’aurais peut-être dit être sur le départ. À l’inverse, quand vous entendez « ah vous alors, je vous retiens ! », c’est que vous êtes plutôt un mauvais parti, ou un bon, qui sait ? Dans les deux cas, vous êtes un parti toujours là.

Ce que j’aime avant tout ce sont les grands retours. Il y a peu, je suis allé écouter un grand pianiste anglais. Un virtuose qui faisait son « comme Bach », c’est dire qu’il était grand. « Mesdames, messieurs, après plusieurs années d’absence, il fait ce soir son grand retour ... ». Quand j’ai entendu cela, j’en étais tout retourné, on ne m’avait pas prévenu qu’il avait fait son grand départ. Il avait dû filer à l’anglaise pour regagner son leaving room. N’empêche qu’il était de retour. À la fin du concert, vu qu’il n’était pas vraiment parti, il a eu droit à un rappel, comme pour un vaccin. Par les temps qui courent, on ne sait jamais, partir c’est mourir un peu. Revenir, c’est revivre beaucoup.

Il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans les grandes gares …

Quand le train s’arrête, les voyageurs descendent. Il y a ceux qui sont de retour, les revenants et ceux qui ne font qu’arriver, les venants. Ceux qui montent dans le train vont partir ou faire leur redépart pour ceux qui venaient de faire leur retour. Départs, retours, enfin, ce qui compte c’est que ça bouge. On appelle cela des flux ou des reflux dans le cas des retours. Il arrive que les flux soient tendus, surtout le soir dans les trains de banlieue après une journée de travail, quand les partants d’ici se font revenant chez eux. Les reflux eux, refluent plutôt le matin. À chacun son tour d’être de retour, comme disait Michaël, le roi du retour gagnant, à une époque où les like se disaient Alléluia.

Un retour, c’est un départ à l’envers. Un départ d’ailleurs, pour un retour ici, ou dans un autre ailleurs. Un ami m’a appelé un jour pour me dire qu’il était déjà allé ici et là et que maintenant il avait une envie d’ailleurs. Alors je lui ai dit de revenir. Mais il avait oublié d’où il était parti. C’est le vrai problème des retours. Pour les réussir, il faut avoir le sens de l’orientation. Ou alors faire comme le Petit Poucet. Mais maintenant, il n’y a plus de cailloux sur les chemins. C’est pourquoi on a inventé le GPS.

Sans aller, point de retour. La dernière fois que j’ai voulu partir de là où j’étais arrivé, je suis allé au guichet de la gare et j’ai commandé un billet pour là d’où j’étais parti. On m’a demandé si je voulais un retour. J’ai répondu « surtout pas ! ». Alors il m’est revenu dans les oreilles que je ne voyais que des pis-aller et qu’un jour j’aurai droit à un retour de bâton. Et qu’un retour sans aller n’était pas dans le champ des possibles. Moi je ne connaissais que le Champ du Départ, autant dire que j’étais mal parti. Après tant d’allers-retours, la discussion n’avait plus aucun sens. Alors j’ai pris une décision, de ne jamais aller là où le retour n’était pas possible vers là d’où j’étais venu dans l’espoir de revenir.