Des pieds et des mains
- Stan Dell
- 7 févr. 2022
- 2 min de lecture
Des traces de mains sur la neige. Une main gauche sur la gauche du chemin, une main droite sur la droite. Deux autres traces devant, exactement les mêmes. Puis d’autres devant, encore et encore.

Des doigts pointés par dizaines vers là-bas. Le promeneur lève la tête et ne peut que constater la reproduction des mêmes traces à perte de vue.
Fussent-elles de pieds, ces traces auraient été de pas. Mais de pas, paires de mains ne font pas. Il regarde autour de lui, bête comme ses pieds devant ces mains, ces traces faisant mains basses sur la neige.
Il se met à pied d’œuvre et se penche sur les mains, se demandant à quel Être elles appartiennent. Délicatement, il pose sa main gauche dans la première trace. Elle s’y insère à la perfection. Il en va de même pour sa main droite dans la trace voisine. Ces marques reproduisent à la perfection les contours de ses propres mains. Il ne sait qu’en penser.
Il se penche encore pour observer de plus près. Il n’y décèle aucune empreinte de doigts. Doit-il y voir le signe de l’effacement de son passé ou l’insigne fin de son avenir ? Il poursuit ses observations à quatre pattes, deux mains et deux genoux, sans pieds, comme l’Être. C’est donc cela, il marche sur les pas de l’Être quadrumane, l’orang-outan originel. Déjà sa posture préfigure le déclin de son humanité.
D’un sursaut d’orgueil il se relève et contemple ses propres mains, cadeaux de la création. Des mains si agiles et si sensibles que les cantonner à fouler le sol ne serait pas digne de son être humain. Alors il reprend sa marche, écrasant les traces de ses pas appuyés. Il faut les effacer et en finir avec ces blancs présages sombres. Rageusement, il se met à chasser des pieds ces mains de malheur, accompagnant ses gestes de cris rédempteurs, traces sonores de sa puissance retrouvée.
Absorbé par cette sape, il ne voit pas l’obstacle approcher. À deux doigts du choc, il lève la tête. Il se trouve nez à pied avec deux souliers, semelle en l’air de cuir retourné.
« Pourquoi tant de hargne contre ces traces ? » demande une voix haute venue d’en bas. « Parce que j’y vois mes propres peurs », répond le promeneur qui soudain voit une main droite solidement gantée se lever de la gauche du chemin.
« Je suis Igor, acrobate au Cirque d’Hiver. Ne tardez pas à me saluer, ma main gauche n’est pas adroite ! ».
Ils échangent alors une poignée de deux mains, le minimum pour une poignée.
« Faites un pied de nez à vos peurs et prenez votre vie en main au lieu de la perdre à combattre vos fantômes ! Les pieds ne sont bons qu’à détruire ce que les mains savent créer », dit l’acrobate avant de tracer à nouveau son chemin. Apaisé, le promeneur reprend sa marche la tête haute.
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