Avec vents et marées
- Stan Dell

- 26 mars 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 mai 2022
Valle n’était rien sans elle, sans lui, Cresta n’aurait pas existé. On parlait rarement de lui, seulement en cas de vague à l’âme. D’elle on disait beaucoup de choses, au risque de sonner creux.
Enfant sans histoire d’une famille de bas relief, Valle, avait grandi sans faire de vagues. Il n’était que le caprice ornemental de la platitude existentielle de ses parents.
Cresta, issue d’une famille où l’on va de l’avant quoiqu’il en coûte, ne tenait jamais en place. Ses parents, disaient d’elle que plus tard elle ferait sombrer les plus gaillards de tous les forbans.
Ils se rencontrèrent un jour d’hiver dans un endroit perdu des Bermudes, là où la mer tourne en triangle. Quel bon vent te pousse ? demanda Valle à Cresta la voyant débouler de son horizon tout plat. Je viens du large et la côte m’appelle. Toi le creux, si tu désires remplir ta vie, suis-moi ! Dès lors, ils ne se quittèrent plus.
Leur expédition se déroulait plutôt

en eaux claires, ils faisaient la paire. Elle imprimait la cadence, lui tempérait ses ardeurs. Puis peu à peu, Valle se sentit gagné par quelques velléités de commandement. Mais Cresta avait atteint une telle stature qu’il était hors de question de donner de tels signes de faiblesse. L’un se sentait appelé par la force, l’autre refusait d’écouter ses limites. Malgré tout le courant passait bien entre ces deux êtres opposés.
Un jour Valle parla vaguement de leur descendance. Cresta balaya d’un revers d’écume ce sujet houleux pour elle. Hors de question de s’encombrer de clapots en pleine chevauchée wagnerienne. Valle décida de ne plus aborder le sujet, non sans une lame d’amertume.
La pensée de leur tragique destinée affectait plus encore le moral de Valle. Comment imaginer que d’ici peu ils s’écraseraient à tout jamais là-bas sur la première falaise venue ? Cette idée ne vidait pas d’une goute la furieuse avancée de Cresta, enivrée des promesses sans cesse renouvelées de l’éolien divin. Valle s’inquiétait de plus en plus de leur allure. Un jour, on vit un éclair dans le ciel. Il interpréta ce signe comme une sanction prochaine de leur allure excessive.
Plus tard, ils croisèrent Tsun, avec qui Cresta avait déjà eu affaire alors qu’elle n’était que vaguelette d’automne et lui petit rouleau de printemps. De sa hauteur insolente le géant prit Valle pour un rat de marée. Comme tu es devenu grand ! lui lança Cresta. Flatté, Tsun répondit qu’il souhaitait grandir encore pour devenir aussi célèbre que ces ancêtres.
Peu après, la destinée se rappela à Cresta et Valle. L’écrasement se produisit dans un vacarme assourdissant. Valle venait d’assister effaré à la disparition de son adorée Cresta. Mais aussitôt, sans qu’il n’ait le temps de céder au désespoir, il sentit une poussée d’énergie le soulever. La force montait en lui, l’arrachait de lui-même. Il comprit alors qu’il devenait Cresta, la vague qui vogue à pleine vitesse mais en direction du large cette fois. Un grand creux se forma derrière lui. Il reconnut aussitôt sa chère Cresta devenue Valle. Par un subite renversement de leurs identités, le duo des indissociables opposés s’était recomposé. Mais s’était-il vraiment décomposé, chacun étant partie de l’autre par une mystérieuse théorie de vases communicants.
Sa métamorphose tout juste accomplie, la nouvelle Cresta se rapprocha de nouveau de l’immense Tsun qui, à sa grande surprise, l’accueillit à bras ouverts. Du comportement trouble de cet inquiétant géant elle avait redouté un ennemi, elle découvrit un Tsun ami. Il y a toujours plus vague que soi.





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